L’oralité alimentaire et ses troubles

 

Amélie Evrard

Logopède

 

 « Et son alimentation qu’en est-il ?... Il mange peu, il ne supporte pas tel ou tel aliment. Il goûte mais il n’accepte aucun morceau. Il se réfugie toujours dans les mêmes aliments. Il mangeait de tout en panade et quand nous avons voulu introduire des morceaux, plus rien. Il est difficile, il n’a pas envie. Il se ferait vomir pour éviter de manger. Les repas prennent des heures. Le biberon prenait déjà énormément de temps. Nous avons laissé tomber de peur qu’il ne mange plus rien. A faire du forcing cela a empiré, il mange donc comme il veut »


Voilà tant de petites phrases entendues en cabinet qui révèlent bien des choses au-delà d’un simple trouble articulatoire qui souvent, en section maternelle, est la demande initiale.

 

Trouble de l’oralité alimentaire mais qu’est-ce donc au juste ?

 

Plusieurs termes sont rencontrés à ce jour : trouble du comportement alimentaire TCA, trouble de l’oralité alimentaire TOA, dysoralité sensorielle, feeding et eating disordes. Le professeur Abadie de l’hôpital universitaire Necker de Paris suggère : trouble alimentaire et du comportement alimentaire TACA.

 

Ces termes englobent les difficultés alimentaires rencontrées par les nouveau-nés, les nourrissons, les enfants et peuvent s’étendre jusqu’à l’adulte. Les troubles du comportement alimentaire, incluant les troubles de succion-déglutition congénitaux, interrogent encore, bien que le corps médical ait considérablement avancé dans leur compréhension et leur analyse. Ce sujet étant vaste et les interrogations restant nombreuses, cette newsletter s’axera essentiellement sur les nouveau-nés et enfants du cycle maternel ; ces derniers constituant l’essentiel de mes consultations au centre.

 

Pour diverses raisons, un nouveau-né peut être alimenté par sonde gastrique ou entérale le privant ainsi d’expériences sensori-motrices en termes de saveur, d’odeur, de consistance, de température et limitant l’exercice sensori-moteur permettant l’utilisation de la sphère buccale. En outre, l’enfant peut présenter une difficulté du geste de succion. Une intervention est dès lors primordiale afin de rétablir le geste correct mais également favoriser la stimulation de la sphère oro-faciale.  Le logopède interviendra alors dans la stimulation de cette zone buccale au sein du milieu hospitalier et par la suite en cabinet et/ou à domicile pour un suivi régulier.

 

Ces derniers mois, les enfants qui se sont présentés à la consultation avec une demande pour un trouble articulatoire ont, dans certains cas, laissé entrevoir un trouble de l’oralité alimentaire. Sur base des observations et de l’anamnèse, il est dès lors intéressant d’introduire une prise en charge et dans certains cas une désensibilisation de cette sphère buccale. Elle nécessite une collaboration étroite entre patient, famille et thérapeute ; vise à la réalisation d’un protocole régulier de massages intrabuccaux. Elle contribue par ces gestes à diminuer une éventuelle hypersensibilité de la langue et ou/du palais. Les massages, les stimulations de la sphère oro-faciale mais également les manipulations culinaires, la mise en place d’adaptations lors des repas réveillent le plaisir oral et favorisent les expériences sensorielles intégrant tous les sens.

 

Une aversion alimentaire peut altérer l’appréciation des textures ; on évoquera dans ce cas une sensibilité accrue des papilles mécano-réceptrices tandis que quand elle affecte les substances chimiques (sucre, sel, amer acide), il s’agira plutôt d’une atteinte des papilles chimio-réceptrices.  Les goûts seront, eux, plutôt gérés par les organes de l’odorat. Les investigations menées par le logopède s’intéresseront également à un éventuel reflux ou réflexes hyper-nauséeux.

 

Ce domaine vaste, complexe, mérite encore une fois de relier la logopédie à de nombreux autres domaines. Ainsi en parlant de trouble d’oralité alimentaire du jeune enfant, il serait intéressant selon le professeur Abadie, Hôpital Universitaire Necker de Paris, d’orienter la réflexion vers d’autres pôles entrant en interaction à un moment donné : l’enfant lui-même, la maman,  le lien mère-enfant, l’environnement, la maladie. L’équilibre entre ces pôles définirait pour chaque enfant un profil spécifique. Ceci permettrait de sortir d’une classification diagnostique assez  réductrice actuellement.

 

Si les logopèdes se forment et s’informent de plus en plus à ce sujet, l’oralité n’en reste pas moins un sujet très complexe et assez méconnu du grand public. Il touche de nombreuses personnes allant du nouveau-né à l’adulte en passant par l’enfant, la personne polyhandicapée. Enfin, la vie et les relations familiales peuvent aussi être fortement impactées lorsqu’un des membres souffre d’un tel trouble. Le manque d’informations, le forcing alimentaire, le sentiment d’impuissance peuvent engendrer des difficultés relationnelles et psychologiques qu’il ne faudra pas minimiser.

 

Un blog très enrichissant crée par une orthophoniste pour les professionnels d’une part et les familles d’autre part peut être consulté : http://oralite-alimentaire.fr/

 

 

Source : Catherine SENEZ, Rééducation des troubles de l’oralité et de la déglutition, 2ème Edition, DE BOECK SUPERIEUR, 2015

               Les Journées du Groupe Oralité de l’Hôpital Necker, Paris, 2-3/02/2017